On connaissait le boulanger d’Abidjan, voici l’enfarineur de Dakar ! Ce n’est peut-être pas l’un qui cachait l’autre. Mais depuis que Laurent Koudou Gbagbo a été « dégagé » de l’actualité politique africaine, les feux de la rampe éclairent d’un jour nouveau Me Abdoulaye Wade, président de la république du Sénégal.
Depuis bientôt douze années qu’il
est au pouvoir, l’homme n’a cessé d’étonner et de détonner. Ces
derniers temps, c’est un rêve dynastique dont on le soupçonne. Ambition
que le président sénégalais dément farouchement sans rien faire, rien du
tout, pour dissiper les soupçons. Bien au contraire. En témoigne le
récent projet de réforme constitutionnelle adopté en conseil des
ministres.
Le « pape du sopi », ainsi que l’on appelait Me Wade, n’était sans doute
pas arrivé au pouvoir avec des rêves d’éternité. Mais l’appétit vient
en mangeant. Et mieux on se sent servi (par le pouvoir), moins on
souhaite le lâcher. Sauf si la nature et les jours qui baissent
finissent par y contraindre. C’est alors toujours mieux de partir en
sachant que ses proches, proches parmi les plus proches, auront le
bénéfice des privilèges et des grandeurs que l’on abandonne, contraint
et forcé. On me convaincra difficilement que le président sénégalais a
réfléchi autrement.
Tout, dans sa gestion du pouvoir et dans ses
rapports avec ses plus fidèles collaborateurs me le laisse penser. Il
est formellement défendu de prendre de l’étoffe politique aux côtés de
Me Abdoulaye Wade. Un crime de lèse-majesté que trop de collaborateurs
de haut niveau ont payé cash. Dès lors que le président sénégalais a
perçu l’éclosion d’une ambition et d’une capacité à prétendre à sa
succession alors même qu’il n’avait pas encore fait connaître son
intention de se retirer. Le couperet est bien souvent tombé sur les
Premiers Ministres. Me Wade en a brûlé une bonne demi-douzaine en une
dizaine d’années, presque toujours pour les mêmes raisons.
Au commencement, était Moustapha Niasse, appelé à former le premier
gouvernement pour avoir fortement contribué à l’élection du Président de
la république. Certes, l’homme a été rapidement limogé, mais pas pour
les mêmes motifs que pour ses successeurs.
Entre Moustapha Niasse,
transfuge de la famille socialiste et Me Wade, les divergences ont été
autant idéologiques que de l’ordre de l’affrontement de deux egos
surdimensionnés et donc indubitablement appelés à se séparer. La
première femme Premier Ministre au Sénégal, Mame Madior Boye (de mars
2001 à novembre 2002) a quant à elle plus sûrement payé de son poste la
tragédie du Joola, ce navire sénégalais dont le naufrage en septembre
2002 a fait plus de 1860 morts. Mais c’est à l’occasion de la mise
hors-jeu de son successeur, Idrissa Seck, que l’allergie de Me Wade à
l’éclosion d’ambitions mal maîtrisées dans ses azimuts va commencer à se
préciser.
Idrissa Seck, fils adoptif et spirituel, pour ainsi dire, du président
Abdoulaye Wade, va tomber en disgrâce au plus fort de sa popularité en
tant que Premier Ministre et dauphin (pensait-il) du président de la
république. Quelques mois après son renvoi (avril 2004), il sera même
mis en accusation et incarcéré pour un fumeux dossier de détournement de
fonds dans la ville de Thiès dont il était au préalable le maire.
L’affaire des chantiers de Thiès va valoir à Idrissa Seck 199 jours de détention dans des conditions draconiennes. Le sort de son successeur, Macky Sall, qui pourtant aura mis toute son énergie à pourfendre Idrissa Seck ne sera guère plus reluisant. Le 21 juin 2007, trois ans à peine après son entrée en fonction, il est écarté du gouvernement, mais entre au parlement dont il devient le Président.
Sa disgrâce lui proviendra de
la « faute lourde » dont il a été accusé par les instances du parti
présidentiel pour avoir convoqué le fils du président, Karim Wade, à
l'Assemblée nationale pour audition sur les travaux de l'Agence
nationale de l'Organisation de la conférence islamique (ANOCI). Son
mandat à la tête du parlement est alors réduit de 5 à 1 an renouvelable
(jamais renouvelé) et son poste de numéro 2 du PDS est supprimé. Il
quitte lui-même ses fonctions à la tête du parlement en novembre 2008.
Depuis, la valse se poursuit à la primature sénégalaise. A la suite de
Macky Sall, deux autres personnalités ont occupé le poste : Cheikh
Hadjibou Soumaré jusqu’à sa démission en juin 2009 et Souleymane Néné
Ndiaye depuis lors. Entre-temps, Me Wade a tourné son attention
dévastatrice vers son chef de la diplomatie, Cheikh Tidiane Gadio, dont
la réputation et les succès n’ont pas dû lui plaire très longtemps. Il
en prenait sans doute un peu trop de graine. En octobre 2009, l’homme
est débarqué sans ménagement après neuf ans de bons et loyaux services.
Une fois virés, les anciens partenaires du président Wade sont acculés
dans leurs derniers retranchements politiques. Toutes les difficultés
leur sont faites, ne serait-ce que pour créer un parti politique. Le cas
Idrissa Seck en dit long sur la volonté de Me Wade de ne pas voir
régénérer les potentiels adversaires politiques qu’il pense ainsi avoir
défait.
En 2008, les motifs déjà bien évidents d’une telle attitude se
précisent. Une personnalité fait son entrée sur la scène politique.
Karim Wade, depuis 2002 semblait attendre son heure. Tout le monde ne
lui reconnaît pas les talents que lui prêtent les responsabilités et les
titres dont son père l’affuble. Mais le fils du président, malgré une
cuisante défaite électorale lors des municipales de mars 2009, monte en
grade auprès de papa.
Il est nommé ministre d’Etat, ministre de la
Coopération internationale, de l'Aménagement du territoire, des
Transports aériens et des Infrastructures. Portefeuilles qu’il cumule
depuis octobre 2010 avec celui de l’énergie. Toutes choses qui ne le
rendent pas plus populaire. D’autant que sa gestion de la préparation
matérielle et technique de la réunion à Dakar de l’Organisation de la
Conférence islamique (OCI) en 2008, même si elle le met au-devant de la
scène, n’est pas restée exempte de reproches. Envers et contre tout,
Karim Wade, aidé de son père, marche à la succession.
Le contenu du projet de réforme constitutionnelle dévoilé récemment est
en effet loin de pouvoir prêter à équivoque. Trois innovations de taille
y sont contenues : d’abord c’est désormais un ticket présidentiel sur
le modèle américain (président et vice-président) qui dirigera l’Etat à
l’issue de l’élection présidentielle. Ensuite, le rôle du
vice-président est clairement énoncé. Il remplace le président « en cas
de démission, d’empêchement ou de décès en cours de mandat ».
Le nouveau
président peut même nommer un nouveau vice-président. Enfin, le projet
de loi introduit un quart bloquant. Autrement dit, si un ticket obtient
25% des suffrages exprimés, il remporte le scrutin présidentiel dès le
premier tour. Dans l’état de délabrement où se trouve le parti
présidentiel à l’heure actuelle, et face à une opposition plus que
dispersée, le plan est clair.
Après cela, allez essayer de me faire croire que Me Wade n’a pas
d’ambition dynastique ou que tout ce qu’il a fait ces dernières années, a
été fait dans l’intérêt de sa famille politique et pas de sa famille
tout court. Allez me faire croire que sur le ticket du PDS, il puisse
figurer un autre candidat que Karim aux côtés de son papa. Je n’y
croirais pas. Le président sénégalais ne choisira certainement pas
quelqu’un d’autre que le seul qui, depuis son accession au pouvoir, a
trouvé grâce perpétuelle à ses yeux pour être son potentiel successeur.
La seule question qu’il me reste alors à solutionner, c’est de savoir
comment Me Abdoulaye Wade fait depuis plus de dix ans pour ainsi mener
tout son monde à sa guise. Car, le risque est élevé que ce projet-là
aussi, comme d’autres avant lui, soit adopté par un parlement de toute
évidence aux ordres.
Pour un Sénégal dont l’intelligentsia est pourtant l’une des plus réputées du monde francophone africain, il y a de quoi s’interroger. S’interroger pendant que Me Wade, pose méthodiquement les bases du Sénégal de demain. Du Sénégal avec Wade sans Wade.
Source:James-William GBAGUID/La Nouvelle Tribune