Le Sénégal a décidé dimanche de suspendre
l'expulsion prévue lundi de l'ex-président tchadien Hissène Habré, pour
répondre à une demande de l'ONU qui s'était demandé si une telle mesure
ne constituait pas "une violation du droit international".
"Le Sénégal suspend la mesure d'expulsion contre Hissène Habré compte
tenu de la demande faite par Mme la Haut commissaire de l'ONU aux droits
de l'homme" dimanche matin, a annoncé le ministre sénégalais des
Affaires étrangère, Madické Niang, dans un communiqué lu à la
radio-télévision nationale RTS.
Le ministre a ajouté que son pays allait engager "immédiatemment des
consultations avec l'ONU, l'Union africaine (UA) et la communauté
inernationale" pour "qu'une solution puisse intervenir rapidement".
Il a affirmé que la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest
(Cédéao), en suggérant en 2010 la création d'une juridiction spéciale
pour juger Hissène Habré, accusé de crimes de guerre et de crimes contre
l'humanité pendant ses huit ans au pouvoir (1982-1990), "interdit" au
Sénégal de le juger.
Selon lui, un tribunal spécial est une "solution inacceptable pour le
Sénégal qui s'était engagé à faire juger Hissène Habré par ses propres
juridictions et magistrats, et non par une nouvelle juridiction dont les
fondements sont discutables".
Le Haut commissaire de l'ONU aux droits de l'homme, Navi Pillay, avait
appelé le Sénégal à revoir sa décision de renvoyer Hissène Habré dans
son pays, avertissant que cette extradition pourrait constituer "une
violation du droit international".
Le Sénégal avait annoncé vendredi qu'il allait renvoyer lundi à
N'Djamena l'ancien président tchadien, exilé à Dakar depuis sa chute en
1990, faisant valoir la nécessité de se conformer à la demande de l'UA
de "le juger ou l'extrader", selon le gouvernement sénégalais.
Interrogé sur la suspension de l'expulsion, un des avocats français
d'Hissène Habré présent à Dakar, François Serres, a dit devant la presse
"prendre acte" que le président sénégalais Abdoulaye Wade "accepte de
constater qu'il a violé une nouvelle fois le droit et qu'il accepte d'en
payer les conséquences".
"Nous allons poursuivre l'ensemble des procédures" contre la décision
d'expulsion "devant les juridictions du Sénégal et de la Cédéao", a-t-il
ajouté.
Selon lui, Hissène Habré, qu'il avait rencontré avant l'annonce de la
suspension de l'expulsion, "a dit que s'il doit retourner au Tchad, ce
sera dans un cercueil. Il invoque son droit à la résistance à tout ordre
illégal et illégitime".
L'avocat américain Reed Brody, de Human Rights Watch, s'est déclaré
heureux que le président Wade ait suspendu cette expulsion mal
préparée". "L'extradition de Habré en Belgique est désormais la seule
option pour s'assurer qu'il répondra des accusations contre lui lors
d'un procès équitable", a-t-il ajouté.
Mme Pillay avait "exhorté" le gouvernement sénégalais "à revoir sa
décision". "En tant que partie à la Convention contre la torture, le
Sénégal ne peut extrader une personne vers un État où il y a des motifs
sérieux de croire qu'il serait en danger d'être soumis à la torture",
avait-elle ajouté.
"En tout état de cause, le Sénégal devrait obtenir des garanties d'un
procès équitable par les autorités tchadiennes avant toute extradition",
avait-elle dit, soulignant qu'il était essentiel que M. Habré bénéficie
de procédures régulières et ait le droit à un procès équitable.
La Belgique, qui réclame l'extradition d'Habré pour le juger, ainsi que
plusieurs organisations de défense des droits de l'homme, avaient
également déploré son renvoi prévu vers le Tchad.
A Dakar, dans le quartier où il possède une maison et est apprécié par
ses voisins, une centaine de personnes ont manifesté dimanche en sa
faveur.
En 2006, répondant à une demande de l'Union africaine, le Sénégal avait
accepté, "au nom de l'Afrique", de le juger, mais aucune information
judiciare n'y a été ouverte.
Habré avait été renversé par l'actuel président tchadien Idriss Deby
Itno qui, après avoir été un de ses proches, avait été accusé de complot
et était entré en rébellion avant de provoquer sa chute en 1990.
Source: Le Nouvel Observateur